Le temps, encore lui
4heures 30
Je suis bien réveillé. Ne me demandez pas pourquoi. Ici et sans vouloir vous bassiner encore avec le temps qui passe et non le temps qu’il fait, qui lui me bassine aussi au réel sens du terme, tant il pleut, je me lève à point d’heure. Un jour à quatre heures, une autre fois à trois heures parfois plus tôt encore. Il m’est arrivé, il y a quelques jours encore, de me réveiller, de regarder la montre posée sur la chaise près de mon lit, il était environ cinq heures trente. Bien éveillé, j’ai pris mon petit déjeuner et ai fait ma toilette. J’étais surpris de ne pas voir le soleil se lever brutalement et comme à l’habitude vers six heures. La terre avait-elle basculé sur son axe en pleine nuit, à mon insu ? Non point. J’avais regardé ma montre à l’envers. Il n’était pas cinq heures trente mais minuit moins cinq. Il ne me restait qu’à me recoucher. Ce qui est incroyable, c’est que d’autres matins, ayant juste dormi du sommeil du même nom et un temps plus que raisonnable j’ai un mal fou à ouvrir l’œil.
J’en profite donc ce matin pour écrire un peu.
Pas de pakou mais du poisson quand même
Depuis depuis (en créole dans le texte) je ne vous ai pas parlé de mes exploits de pêcheur. Ne croyez pas que le pakou puisse s’en tirer comme ça. Je ne lâche pas l’affaire. J’endors sa méfiance tout au plus. Je m’entraîne. J’attends la fructification des mombins. Lorsque je suis arrivé ils étaient en fruits, un peu sucrés acidulés. De ces fruits qui vous font saliver à seulement y penser. Le seul arbre qui me soit accessible est à distance de l’eau. A moins de ramper, à la façon dont peut le faire une anguille, aucun pakou n’en goutera le fruit. Je vous rappelle que le pakou n’aime rien autant que le mombin. Il reste sous l’arbre à la saison et il attend que les fruits tombent. Le pêcheur, sur une pirogue, après avoir éteint le moteur, avec une légère canne à pêche armée d’un hameçon sur lequel il plante un mombin ou un fruit lui ressemblant et ayant l’avantage de ne pas avoir le gros noyau dur du premier, le pêcheur dis-je, jette sa ligne, un coup à droite, un coup à gauche, imitant ainsi le tomber du fruit dans la rivière. Le pakou, un piranha frugivore se jette sur le fruit et le happe. Il faut vite ferrer. Si le fruit est gobé entier les redoutables dents sectionnent le fil. Le pakou se pêche aussi à l’épervier, je l’ai vu faire. Lancer un épervier n’est pas chose facile bien qu’à regarder on pourrait croire cela aisé. Je suis venu ici avec un matériel acheté à prix d’or, conseillé par Stéphane qui tenait ce blog avant moi. Le marchand, à Paris, semblait perplexe devant mes demandes. En effet, j’ai de quoi pêcher des poissons gros comme des requins. Je pense que j’étais un peu prétentieux avec ma canne télescopique, moulinet et hameçons gros comme mon pouce. Les enfants ici pêchent avec un fil tenu à la main, un petit plomb et un hameçon adéquat pour tout équipement. Je ne pêchais donc rien et pour cause. Mon matériel était aussi inadapté que moi ignorant. Les conseils éclairés, prodigués par Jean-Marc, puis par Sébastien et Aurélien lors de leur passage et l’utilisation du matériel qu’ils m’ont envoyé de Cayenne et que je qualifierais de plus humble, m’ont permis de changer la donne. Je suis maintenant autonome en poisson. J’ai essayé beaucoup d’appâts avec plus ou moins de succès. La femme rencontrée au bord du fleuve avait raison. La mie de pain du jour est excellente, mais pas la mienne qui s’effrite trop. Le maïs ne vaut pas grand-chose, le morceau de poisson non plus. La pâte à pain et le ver de terre marchent pas mal. Je pêche surtout des yayas
Pour ma part, comme je l’écrivais déjà, pas de poisson, pas de problème. Je vais peaufiner ma science de la pêche, essayer d’autre bas de lignes, d’autre hameçons, d’autres appâts, d’autres techniques. C’est en quelque sorte un jeu dont je sors toujours gagnant, même bredouille.
En arrivant ici, je me voyais troquer avec les Amérindiens et obtenir ainsi de la « viande de brousse » donc de chasse ou du poisson. C’est quasi impossible et je crois que j’aurais eu du mal à acheter du toucan, du perroquet ou du singe (il est intéressant de noter que, pour d’obscures raisons, je n’aurais pas d’états d’âme à manger d’autres animaux tout aussi innocents). J’ai pu acheter au Brésil, en face, du pakou congelé, pêché au filet. C’est bien bon, bien que plein de petites arêtes en Y un peu traitres. Alors pourquoi vouloir absolument pêcher un pakou ? Un défi peut-être, entre lui et moi ou entre moi et moi ?
Permettez-moi, ici de demander pardon aux poissons. Après l’excitation à les sortir de l’eau, après la triste mais fugace pensée lorsque je les assomme, j’ai un réel plaisir à les déguster. Merci les poissons.
Le vieux fromage
Je reprends l’écriture, plus tard dans la journée. Depuis mon arrivée ici, il y a trois mois, je reluquais, dans le bas du réfrigérateur du dispensaire, un camembert laissé là par quelque donateur de passage. N’y tenant plus je regardais la date de péremption. Périmé depuis février 2014. Je décidais de me l’approprier et de faire partager mon larcin à mes collègues. Il était fait, plus que de façon raisonnable, ce fromage. Bryan, le boulanger amoureux qui avait repris le travail, cependant que sans grande régularité, a été cambriolé deux fois en dix jours. Son patron a décidé de fermer définitivement la boulangerie. Je n’attendais pas après lui pour le pain. Léa m’avait apporté de la farine bio complète et bien que je la coupe avec de la farine blanche achetée à Vila Brasil, pour faire « durer » la farine bio gouteuse et avec l’expérience, mon pain est meilleur chaque fois, enfin presque chaque fois. Une fine lamelle de ce fromage trop fait sur une tranche de ce pain à la croute craquante est une fine récompense d’efforts modestes.
Ce matin, j’ai terminé une table, commencée il y a deux mois. C’est le temps qu’il m’a fallu pour trouver d’un côté une perceuse et de l’autre une mèche. Je peux dorénavant déjeuner et dîner dehors sous la varangue et poser ma tasse de café auprès de moi, lorsque je lis dans mon hamac.
Sylvain Tesson lors de son séjour en Sibérie, six mois seul dans une minuscule isba écrivait tous les jours. Le 14 mai il écrit « le temps, le temps, le temps le temps, le temps, le temps, le temps. Tiens ? Il est passé ».
Vendredi j’ai décidé de passer le week-end au Brésil, dans la pusada de Lucia et Yvan, brésiliens au cœur d’or, sis à Vila Brasil. Dîner délicieux, soirée à refaire le monde avec la seule locataire, Soraya au prénom persan, petite fille de harki d’un côté et d’un agent du F.L.N de l’autre. Couché à pas d’heure. Mais finalement je suis revenu dans mon isba à moi dès hier samedi. Envie de retrouver le silence, l’absence de mots, la rêverie, le temps.
Est-ce grave docteur ?
* A propos de méditation: Je ne sais pas ce qu’est la méditation au sens peut-être plus noble du terme, devant une bougie, ou assis en lotus sur une plage, le regard fixé sur l’horizon, laissant les idées traverser l’esprit.
Premièrement parce que j’ai trop mal aux jambes assis dans cette position. C’est une torture et je ne souhaite aucunement souffrir pour expier une quelconque faute personnelle, collective, pour expier un péché originel ou atteindre par la souffrance un quelconque paradis plus tard.
Deuxièmement, lorsque passe et « m’attrape» une idée, elle ne me laisse pas en paix ou en amène une autre. Je m’y engouffre, je la cajole, je m’y envole. J’y construis des châteaux en Espagne, j’y voyage, j’y peins des tableaux, j’y modèle des sculptures si belles en ma pensée, qu’ensuite je n’ose me lancer dans la tentative de leur réalisation. Je vis ces songes éveillés comme des cadeaux et ne m’en priverai.
23 juin 2014 à 6 h 01 min
Salut Doc.
Alors, ce rêve de votre vie est il conforme à vos espérances?
Cela n’a pas l’air d’être de tout repos, mais très enrichissant. C’est sympa de lire vos aventures.
Quand vous rentrerez à la Réunion, peut être allez vous ouvrir un restaurant spécialisé dans les poissons?
Bon courage, et à bientôt de vous lire
23 juin 2014 à 15 h 11 min
Fin pêcheur, fin boulanger, fin …?
Que de talents à ton arc…bisous
23 juin 2014 à 20 h 22 min
Ah mon vieux mérou! Je t’imagine dans cette danse immobile du pêcheur au rythme des yayas et des pakous…. quelle douce musique tu nous fais parvenir. Presque envie d’être bouchon moi aussi!
25 juin 2014 à 1 h 38 min
Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
(…)
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
(…)
LXXXV – L’Horloge in Les fleurs du mal
Charles Baudelaire
27 juin 2014 à 20 h 43 min
Bravo pour tes talents de pêcheur , de boulanger et bien d’autre surement ,En fait dans ces conditions de vie très particulières ,toute cette richesse de possibilités qui sommeille en soi fait surface et permet de s’adapter a l’environnement. Ce n’est que du bonheur ,tu nous fais rêver . M & R
14 juillet 2014 à 14 h 36 min
Cher Philippe
C’est un réel plaisir de te lire.
Merci de partager ces aventures humaines qui t’animent. Ton cocon va bien, nous prenons soin de lui.
Bises